Utopia à Balma ... Punto final ?

Coeur de Ville

APCVEB: Coeur de Ville

Article | 8 février 2006, par (extrait de presse)

Article paru dans la revue de l’Utopia couvrant la période du 25 janvier au 28 février 2006.

Vous le savez déjà : le projet de quatre salles Utopia à Balma ne verra pas le jour. On en est tout marris... d’autant plus tristounets qu’on sait quelle déception on provoque en « jetant l’éponge » comme dit la Dépêche, parmi les spectateurs comme parmi les élus de Balma. Presque deux ans... de travail, de cogitation avec le Maire de Balma et sa garde rapprochée, pour trouver au futur cinoche le meilleur emplacement, le plus beau projet. Ce fut parfois animé, et nous étions parvenus au point d’une relation chaleureuse qui nous a rendu particulièrement difficile le moment de dire les choses désagréables... Vous savez comme nous sommes sensibles au côté humain des choses et côté humain, là, on était servis. Le projet était bel et bon, les vents favorables, l’étude de marché excellente et prédisait même que la création de ces nouvelles salles ne déstabiliserait en rien les salles existantes, ni les Utopias, ni les autres, qu’il existe un potentiel fantastique pour des cinémas comme les nôtres : plus notre société génère solitude et individualisme et plus le besoin de se retrouver autour de lieux qui génèrent du lien social grandit. Tous les jours, des spectateurs nous questionnaient sur l’avancement du projet...

La cause de notre retrait est purement matérielle. Vous savez qu’Utopia est une entreprise fragile malgré sa bonne mine et ses airs agités. Forte par la volonté et le travail de ceux qui l’animent, saine et équilibrée dans sa gestion, mais incapable d’investir au-delà des possibilités que lui offre un accès au Fond de Soutien du Cinéma* proportionnel à ses cotisations. Tout comme pour Tournefeuillle, nous avions prévu de cumuler des avances sur ce Fond de Soutien qui devaient représenter « l’apport personnel » indispensable de l’entreprise Utopia. Une partie devait être fournie par une « aide sélective » attribuée par le CNC (qui va aussi bien à la création de multiplexes qu’à celle de petites salles de campagne). Le solde du financement se faisant par emprunt auprès du Crédit Coopératif, notre banque favorite. Nous progressions dans la mise en place d’Utopia-Balma avec un optimisme à tout épreuve, mais en 2006, quelques nouvelles données sont venues perturber nos prévisions :

l/ Au printemps 2005, nous avons dû, devant l’avis défavorable de la Commission de Sécurité pour la salle Utopia du centre de Toulouse, réaliser des travaux dans l’urgence. Non que la sécurité des spectateurs était menacée, mais les textes évoluent sans cesse, les moyens de sécurité aussi et il faut constamment s’adapter. Nous n’avons pas voulu prendre le risque d’une mesure de fermeture administrative qui n’aurait pas forcément fait que des malheureux... Ces travaux ont englouti l’essentiel (600 000 euros) de « l’avance sur Fond de Soutien » que nous gardions pour les travaux de Balma. Il nous faudra cotiser encore deux ans avant d’avoir droit à une nouvelle avance. Ajoutez à cela quatorze semaines de fermeture... Nos bilans présentent cette année un déficit (62 000 euros) qui n’est pas dramatique, mais qui suffit à souligner une fragilité relative qui ne favorise pas un nouvel endettement.

2/ Nous avons appris en Décembre que nous ne pourrions pas espérer "d’aide sélective". En effet, la régression mondiale des entrées, que beaucoup craignent de voir accentuée par les choix stratégiques des grands groupes, font que le climat général est à l’inquiétude, au repliement sur soi. Le CNC** a donc annoncé que « l’aide sélective » sera désormais affectée en priorité à la rénovation des salles existantes et n’ira plus inciter à la création de nouveaux lieux, sauf en cas de zone très défavorisée... Et on ne peut pas prétendre que Toulouse est mal lotie. De plus, il faut savoir que ces aides sont gérées par une commission où les représentants de l’exploitation traditionnelle et des circuits sont dominants : une situation qui fait que nos dossiers ne reçoivent pas forcément le meilleur accueil (le projet de Tournefeuille, initialement prévu de 6 salles, avait dû être ramené à 4, avec une capacité moindre pour cause d’aide sélective plafonnée à 220 000 euros, alors que certains multiplexes reçoivent jusqu’à 1 million d’euros).

3/ Utopia n’ayant par ailleurs ni patrimoine, ni réserves et ses animateurs ne cachant aucune fortune personnelle derrière leurs fagots, il était prévu, comme d’habitude, de faire appel, pour les emprunts, à la caution de l’IFGIG***, un organisme très sensible au soutien ou à l’absence de soutien du CNC...

Sans avance sur Fond de Soutien, sans Aide Sélective, la part d’emprunts qu’il aurait fallu négocier aurait été d’un tel montant que personne, pas même nous, n’aurait pu croire, à la lecture de notre dernier bilan, à notre capacité à rembourser. À plus forte raison l’IFCIC et à plus forte raison le Crédit Coopératif.

Pourtant nous ne partageons pas le pessimisme ambiant sur l’avenir du cinéma. Il n’y a jamais eu autant de beaux films, les réalisateurs américains eux-mêmes retrouvent une nouvelle pêche, les Français sont meilleurs que jamais et l’arrivée du numérique qui fait trembler toute la profession peut avoir un effet formidablement stimulant sur la création (caméras plus légères, coûts de tournage allégés...), rendant la présence de salles comme les nôtres encore plus nécessaire et pertinente. Plus les salles se standardisent et plus les spectateurs se mobilisent pour des lieux chaleureux où l’échange humain est encore possi-ble... Mais allez faire comprendre ça à des commissions de professionnels qui ne sont jamais en contact avec les spectateurs et ne jurent que par des courbes et statistiques fortement influencées par les stratégies des groupes, américains pour la plupart..

Quelle sera la politique du CNC en 2007, quand nous aurons reconstitué notre droit à avance sur Fond de Soutien ? Quelle va être l’évolution des salles en 2006 ? Côté Utopia, les travaux faits ne sont plus à faire, nos dettes se résorbent au rythme prévu et l’équipe évolue avec un dynamisme renforcé par l’amorce d’une transformation progressive de la structure actuelle en SCOP ... N’empêche, les élus de Balma et leur entourage avaient bossé comme des dieux et on se sent un arrière goût de gueule de bols, un vieux fond de culpabilité qui nous fait regretter de ne pouvoir répondre à cette attente forte qui nous faisait rêver.

Bon, une petite note positive pour finir : la commission d’aide sélective a attribué au petit projet d’Aulus une aide royale : 50 000 euros ! Il faut dire que question « zone défavorisée » en matière de cinéma, Aulus se pose un peu là ! On en recause...


* Fond de Soutien : Chaque salle cotise pour 12% de ses recettes à ce fameux « Soutien Financier de l’État à l’Industrie Cinématographique ». Les sommes ainsi récoltées vont à la production, à la distribution et à l’exploitation pour la création ou la rénovation de salles. Nous avons fait une « communauté d’intérêt » entre salles Utopia. Ce qui permet de demander des « avances » conséquentes (50% des cotisations versées par les salles concernées pendant les trois années suivantes). Système génial, mis en place en 1947 après mobilisation de la profession, pour protéger le cinéma français de l’hégémonie américaine. L’accès à ce Fond de Soutien est « automatique » et fonction des cotisations versées (Utopia récupère 66% du montant versé)

** CMC : Centre National de la Cinématographie. Organisme créé sous Vichy. Gère les sommes payées par toute la profession au titre du Fond de Soutien (une partie sert à la gestion du GNC). L’aide sélective fonctionne comme une sorte de super avance sur Fond de Soutien.

*** IFCIC : Institut de Financement du Cinéma et des Industries Culturelles. Spécialisé dans le cautionnement de prêts « à risque ». Offre son expertise aux banques des exploitants et garantit les emprunts jusqu’à 50%. L’IFCIC intervient également dans l’édition musicale, les bouquins etc.

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