Liaison autoroutière Castres-Toulouse

Groupe "Territoires"

APCVEB: Groupe "Territoires"

Article | 13 janvier 2010, par François SAINT PIERRE

Quelques observations sur le projet de mise en concession autoroutière de la liaison Castres-Toulouse

Il y a quelques années, l’intérêt économique d’une liaison autoroutière Castres Toulouse aurait fait quasiment l’unanimité et l’axiome implicite de l’effet positif du désenclavement du bassin de vie Castres-Mazamet aurait permis de balayer d’un revers de main les états d’âme des écologistes. Si cette autoroute ne s’est pas faite jusqu’à présent, c’est en raison de la faiblesse du trafic envisagé qui impose un fort engagement financier des collectivités territoriales. Devant les reports successifs des améliorations promises à la voie routière actuelle et l’incapacité d’offrir une ligne de train performante et bien cadencée la solution d’une autoroute mise en concession est revenue à l’ordre du jour.

Le bienfait des autoroutes ?

Cette réflexion n’a surtout pas pour but de nier la volonté d’une zone traditionnellement dynamique à se connecter fortement à la métropole toulousaine, pour augmenter son efficacité économique. Pour autant l’acte de foi implicite d’un lien automatique entre développement économique et construction d’une autoroute a été contredit par les chercheurs qui se sont penchés sur cette question.

"La vision simpliste de mécanismes de cause à effet ne peut être conservée dès qu’on étudie les relations entre autoroute et développement régional (...). Il faut affirmer clairement que de telles déclarations sur les bienfaits des autoroutes, nombreuses chez les hommes politiques, ne reposent sur aucun fondement scientifique [1]"

Mais on peut aussi relire les mises en garde de Fernand Braudel contre la croyance en l’importance des "évènements routiers". Les récents travaux de Jean-Marc Offner du laboratoire de l’école des Ponts et Chaussées ou de Gilbert Saint-Laurent « Impact de l’autoroute sur le milieu. Étude bibliographique et propositions de recherche au Québec » relativise aussi largement l’importance des impacts positifs. Si les infrastructures jouent un rôle, il est impossible de se contenter d’une analyse trop simple, qui en mettant en avant l’intérêt de la réduction du temps de déplacement, masquerait la complexité du choix.

Le contexte décisionnel est actuellement particulièrement difficile. Une autoroute est un équipement de long terme, les grandes variables qui donnent du sens à ce choix sont soumises à de très fortes tensions. Le pétrole risque fort d’avoir des variations de prix extrêmement importantes bien loin de la fourchette souvent admise de 35-100$ le baril de pétrole, sans parler de l’effet de la taxe carbone qui a vocation à augmenter sérieusement le prix à la pompe. On rentre donc dans une période où la croissance du transport routier des marchandises doit se ralentir, et où l’usage de la voiture individuelle pour se déplacer deviendra un luxe. D’un autre côté la question climatique et les questions connexes comme l’évolution de la biodiversité ou la sauvegarde des terres agricoles qui ont été longtemps négligées dans la prise de décision ne peuvent plus être considérées comme étant marginales vis-à-vis de la demande d’efficacité économique.

Approfondir la réflexion

C’est pourquoi quelques points de ce projet méritent une étude approfondie.

- L’effet environnemental direct sur les zones traversées par l’autoroute n’est pas au premier abord considérable, mais l’autoroute est toujours fortement consommatrice d’espace agricole et son impact par effet de coupure du territoire sur la biodiversité locale est toujours important. C’est cette analyse d’ordre général qui a conduit au consensus de Grenelle sur la nécessité d’arrêter, sauf cas exceptionnel, le développement des autoroutes en France.

- L’effet d’entrainement sur la création d’entreprise. Au lieu de favoriser les zones périphériques la création d’une autoroute peut au contraire favoriser la délocalisation des entreprises existantes ou orienter celles qui ont un potentiel de création à s’implanter le long de cette autoroute plutôt à proximité de la métropole en utilisant la zone périphérique comme un potentiel d’habitats moins onéreux que ceux de la métropole. Cela en prétextant un temps de transport réduit. Ce phénomène n’est pas exceptionnel surtout quand il y a un fort déséquilibre économique entre les deux extrémités de l’autoroute.

- L’impact sur l’étalement urbain. Ce risque est clairement identifié dans le dossier cf. page 91 (où par ailleurs l’impact négatif des 5 échangeurs est souligné). Ce risque est évidemment lié au différentiel des prix du terrain constructible entre la métropole et les zones qui longent l’autoroute.
Cela aura un effet sur l’augmentation des déplacements en voiture individuelle car la quasi-totalité des zones concernées occupe un territoire à forte vocation agricole qui ne dispose d’aucun mode de transport collectif efficace et sur le mitage du territoire au détriment des zones agricoles. Tout cela va à l’encontre de tous les objectifs sur l’émission de gaz à effet de serre et sur les principes d’aménagement du territoire affichés dans tous les textes officiels.
Peut-on sur ce point aller aussi délibérément contre tous les objectifs affirmés par les responsables politiques dans les PLU, les SCOT, les lois issus du Grenelle ou même les grandes déclarations de Copenhague.

- L’analyse des alternatives.
Dire comme le fait le maître d’ouvrage qu’il n’est pas possible de dépasser 20% pour la part modale du train, même avec des équipements importants, découle d’un raisonnement qui ne tient pas compte des futures pénalités financières que la société imposera à l’usage de la voiture pour des raisons de nécessité climatique et énergétique, pénalités qui s’ajouteront au prix conséquent du péage. La stabilité de l’usage du transport routier est actuellement obtenue en raison de la compression des coûts du côté du personnel. Cette marge de manœuvre commence à arriver à ses limites pour des raisons élémentaires de sécurité. C’est donc sur une analyse qui ne tient pas compte des importantes évolutions actuelles sur l’énergie et le climat que l’alternative -amélioration progressive de la route normale plus très nette améliorations de la ligne de trains- semble disqualifiée un peu hâtivement.

Bilan

Mettre cette liaison en concession autoroutière a semblé à beaucoup, malgré quelques inconvénients, être un plus pour l’intérêt général. Les évolutions extrêmement rapides actuelles nous font penser que ce projet ne présente pas les avantages économiques escomptés mais qu’en plus il va à l’encontre de l’intérêt général par ses effets pervers sur le climat et l’aménagement du territoire.

[1François Plassard directeur de recherche au CNRS dans "Les autoroutes et le développement régional